Le 299ème dîner se tient au restaurant Le Doyenné situé à Saint-Vrain dans un parc de plus d’une centaine d’hectares. Le chef et copropriétaire est australien, James Edward Henry, qui supervise le restaurant et l’immense potager dont il tire le meilleur pour ses plats.
J’étais venu il y a six jours pour étudier sa cuisine afin de préparer le menu du repas de ce soir. Mes vins avaient été laissés sur place chez le propriétaire des lieux et qui est à l’origine de ce dîner d’amis. Trois des épouses qui auraient pu venir à ce dîner avaient choisi cette date pour faire une retraite méditative ensemble, aussi nous serons dix participants masculins sur dix, ce qui n’améliore pas la parité hommes femmes de mes dîners peu égalitaires. Pourvu que Sandrine Rousseau ne le sache pas.
Je suis arrivé à 15 heures pour ouvrir les vins. Deux des participants et le sommelier Romain vont assister à cette importante séance, ce qui leur permettra de témoigner de l’évolution des senteurs des vins sur plus de quatre heures. Il y a un nombre très important de vins dont le bouchon s’est déchiré en miettes, même lorsque j’utilise le tirebouchon et bilame Durand car beaucoup de goulots ont des renflements et des boursoufflures qui rendent impossible de soulever le bouchon sans qu’il ne se déchiquète.
Le seul vin qui a eu des brisures qui sont tombées dans le vin est l’Hermitage 1915 car il y avait une surépaisseur tout en haut du goulot qui a entraîné que le bouchon s’est entièrement déchiré.
Le Laville Haut-Brion 1967 est le seul qui a un nez de bouchon à l’ouverture. En nettoyant bien le goulot nous avons pu constater que le nez de bouchon s’estompait. Il a totalement disparu au moment où le vin a été servi. Les parfums les plus intenses sont toujours ceux des liquoreux. Les deux sont impressionnants.
Le menu composé par le chef est : charcuterie du Doyenné / huîtres d’Utah Beach, petits pois / dorade royale / Barbajuan de printemps, brioche surprise et crevette rose bouquet / saint-pierre, asperges blanches, noix / homard bleu grillé, giroles, huile de café / échine de cochon du Doyenné, ail confit et anchois / pigeon de Mesquer à la braise / foie gras poché au court-bouillon / riz au lait à la mangue / financier.
Certains amis étant arrivés assez tôt, Antoine a fait ouvrir un Champagne Selosse Version Originale sans année. Il est très agréable, raffiné et vif, jeune et plaisant, bien mis en valeur par les tranches fines de cochon.
Nous passons à table. Le Champagne Salon 2006 est servi, jeune, à la bulle active. Un des convives dira qu’il préfère le Selosse alors que je pense que le Salon est plus riche, plus complexe et plus énergique. La combinaison de l’huître et des petits pois très fins est inspirante, très semblable à des créations de Pascal Barbot, et met en valeur le Salon.
Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969 est une grande surprise pour tous, car ce champagne, à l’opposé du Salon, offre un charme et une délicatesse extrêmes. Tout en lui est gourmandise et richesse cohérente. Les crevettes roses sont divines et s’accordent parfaitement au champagne.
Comme tous les Laville anciens, le Château Laville Haut-Brion 1967 est d’une couleur très claire. Ce vin blanc de Bordeaux est noble et fluide, de belle longueur. Celui-ci a un peu moins d’ampleur que des grands Haut-Brion blancs mais il est très agréable.
La même surprise du Moët après le Salon se produit pour les vins blancs avec l’apparition de l’Hermitage Chante Alouette blanc Chapoutier 1949. Quelle belle surprise que ce vin blanc joyeux, rond et de belle structure, large en bouche, intense et parfait pour le poisson. Les amis sont surpris qu’une asperge puisse créer un bel accord.
Ils auront la même surprise avec l’association d’un homard avec un bordeaux rouge, alors que traditionnellement, c’est le vin blanc qui est choisi. Le Château de Pressac Saint-Emilion 1966 est une belle surprise pour moi. Je ne l’attendais pas si large et si ample. C’est une beau bordeaux classique, de personnalité plaisante.
Le Château Ausone 1979 est noble, fin et racé, de belle amplitude. C’est un vin galant. Bel accord avec le homard parfait et avec les fines giroles.
Nous entrons dans les passages les plus glorieux de cet opéra gustatif. Le parfum de la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 est un moment d’une intensité rare. Nous entrons dans le monde du domaine de la Romanée Conti grâce à l’intensité émouvante de ce parfum. Le vin est délicat, subtil, et offre des goûts d’une complexité harmonieuse. L’échine de cochon est un bel accompagnant de ce moment rare où l’on savoure un vin impressionnant d’amabilité.
Je ne voulais pas que les deux vins du domaine de la Romanée Conti soient en concurrence, aussi est servi comme intermède l’Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1915 sur un délicieux pigeon. J’ai bu 33 vins de 1915 et c’est un millésime que j’adore, aussi pour son histoire mondiale. Mais bien sûr c’est la qualité intrinsèque de ce millésime qui me ravit. Cet Hermitage de 110 ans est sublime. Il est vivant, actif, avec un joli fruit plaisant. J’en suis amoureux et ce sera le premier dans mon vote. Toutes les idées préconçues de mes convives tombent. Il va falloir qu’ils révisent leurs sentiments sur les vins anciens.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1974 est servie avec un foie gras poché, selon la petite coquetterie que j’ai lancée moult fois, parce que la chair délicate du foie gras poché est idéale pour mettre en valeur ce vin que presque tous mes convives découvrent pour la première fois. Ce vin est solide, riche et complexe. C’est un très grand vin sans le moindre défaut, mais qui n’a pas la subtile fraîcheur de la Romanée Saint-Vivant. J’ai adoré ses complexités et ce vin est placé dans mon vote devant la Romanée Saint-Vivant mais je comprends que le 1983 ait séduit beaucoup plus les convives.
Le Château de Rayne Vigneau Sauternes 1938 est très foncé, presque noir. Il est riche et conquérant, au parfum envoûtant. C’est un très grand sauternes, aussi grand que l’Yquem 1938 qui m’avait ébloui et étonné. Le riz au lait a un peu freiné le goût de la mangue.
Le Vin de Chypre 1870 est une immense surprise pour mes convives car ce vin a tout d’un vin éternel. Le parfum est guerrier et en bouche on ressent ce vin comme un vin qui durerait 400 ans de plus. Il est à la fois lourd et profond, mais aussi mentholé et aérien, extrêmement imprégnant et le financier calme sa fougue.
Je sens autour de moi que les visions sur les vins anciens vacillent et c’est une bonne chose. Nous allons voter. Les votes ont été assez longs à exprimer pour certains participants, mais tout le monde a voté. Deux vins n’ont pas eu de vote, mais cela s’explique. Le Salon 2006 n’en a pas eu car pour beaucoup, la découverte d’un champagne ancien aussi plaisant que le Moët 1969 a été une surprise très forte. Et il en est de même du Laville Haut-Brion 1967, très grand vin, mais mis dans l’ombre de l’excellent Hermitage blanc 1949, belle surprise.
Quatre vins ont eu des votes de premier, la Romanée Saint-Vivant 1983 a eu quatre votes de premier, la Romanée Conti 1974 a eu trois votes de premier, l’Hermitage rouge 1915 a eu deux votes de premier et le Rayne Vigneau 1938 a eu un vote de premier.
Le vote des dix participants est : 1 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1974, 3 – Vin de Chypre 1870, 4 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969, 5 – Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1915, 6 – Château de Rayne Vigneau Sauternes 1938.
Mon vote est : 1 – Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1915, 2 – Vin de Chypre 1870, 3 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1974, 4 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 5 – Hermitage Chante Alouette blanc Chapoutier 1949.
Le chef James a parfaitement intégré mes recommandations pour que les plats créent une harmonie avec les vins, mais il a utilisé toute sa science et son talent pour réussir ce beau repas.
Tout semble indiquer que ce 299ème dîner ne sera pas le seul au Doyenné.