Quelques remarques sur la vente de vins de l’Elyséedimanche, 2 juin 2013

La vente de vins de l’Elysée fait parler dans la blogosphère du vin. Dans le pays profond, l’événement a beaucoup moins d’ampleur que l’affaire Cahuzac par exemple.

Plantons le décor. Vendre un actif de la République ne peut pas être comparé au déficit du budget de l’Etat, puisque ce n’est pas une recette récurrente. Ce doit être comparé à la dette de la France.

Voici les chiffres :

Dette de la France : 1.830.000.000.000 €.

Vente de vins : 718.000 €.

Cette vente a eu lieu sur deux jours. La recette journalière a été de 359.000 €.

C’est en un jour 0,00002 % de la dette qui est remboursée.

Si l’Etat avait chaque jour une idée de la même ampleur que cette vente de vins, il « suffirait » de 14.000 ans pour rembourser la dette. En ayant commencé dix mille ans avant Ramsès II, on n’aurait plus de dette aujourd’hui.

Ce n’est donc pas l’enjeu financier qui mériterait beaucoup de commentaires. C’est un quasi non-événement quand on sait ce que François Hollande devrait faire pour redresser les comptes de la France. C’est donc au niveau de la symbolique que ce non-événement doit être commenté.

 

Le quinquennat de François Hollande est marqué par une attitude punitive et par la culpabilisation de tout ce qui dépasse la norme. Il y a la haine des riches, la culpabilisation des salaires des chefs d’entreprise, l’amnistie un temps envisagée pour les exactions des casseurs qui détruisent l’outil de travail, la taxe à 75% pour humilier ceux qui réussissent et la volonté affichée que tous les talents quittent le pays.

D’un autre côté, le Président prend le train, fait les marchés comme s’il était encore en Corrèze, apporte son soutien aux syndicalistes qui bloquent l’adaptation des entreprises, comme il l’a fait en refusant le plan présenté par Peugeot sans même l’avoir lu.

La tentation était grande de faire comme Bertrand Delanoë (1), de vendre une partie de la cave de l’Elysée, pour montrer que l’on veut avoir une gestion rigoureuse dans un secteur aussi futile que l’art de la table.

Ceux qui soutiennent cette initiative sont tombés dans le panneau du symbole : quand j’ai découvert les vins superbes de Dupasquier, je n’ai pas eu besoin de vendre mes Pétrus. Quand j’ai eu un amour particulier pour Château Poujeaux, auquel j’ai consacré un article d’une page dans la revue Vigneron, pour l’extraordinaire performance de son 1928, je n’ai pas eu besoin de renier mes Latour et mes Lafite.

L’argument selon lequel la vente des grands vins de la cave permettra d’accueillir à la table du Président des vins plus modestes de vignerons méritants est spécieux. Car il n’est pas besoin d’éliminer Lafite 1961 pour accueillir d’autres vins si l’on sait combien cela représente par rapport aux enjeux de la France. On veut juste montrer une attitude « normale », qui culpabilise la richesse ou la réussite.

Tout ce qui sort de la norme doit disparaître.

Pour le collectionneur buveur que je suis, se séparer de bouteilles qui sont parvenues à une maturité idéale est une erreur, plus même, une faute de goût. On pourrait honorer des hôtes de marque avec des bouteilles mythiques, achetées pour cet objet, et parallèlement, continuer à mettre en valeur les vignerons méritants.

Autre argument : j’aime la France qui gagne, qui va de l’avant, qui assume les vins mythiques que des amateurs du monde entier rêveraient de boire un jour.

On a donc, une fois de plus, joué l’hypocrisie en semblant donner une leçon de morale du Président « normal », mais on attaque l’image du vin français, ce qui aura des conséquences sur la balance commerciale de la France.

De plus, quand quelqu’un commence à vendre des bijoux de famille, on se dit qu’il doit être fauché. Donner cette impression pour des sommes aussi faibles, c’est assez mal joué.

Dernier argument pour ceux qui voudraient banaliser l’événement : si un amateur de Shanghai, qui a acheté massivement des vins de cette vente, a accepté de payer une bouteille 4.000 € de plus que sa valeur commerciale (qu’il connait forcément) et a accepté de payer parfois huit fois les estimations, c’est que le label France ou le label République Française est beaucoup plus fort que ce que l’on veut faire croire.

Par hasard, j’ai bu le soir du deuxième jour de la vente un Lafite 1961. On côtoie le divin. Une bouteille de ce vin était à la vente. Je serais fier de mon pays si une telle bouteille permettait d’honorer un hôte de marque. La France fait les plus grands vins du monde. Le Président se doit de les utiliser, pour le plus grand prestige de notre pays. Renier nos atouts d’excellence, c’est se tirer une balle dans le pied.

 

(1) la vente des vins de la Mairie de Paris en 2006 a apporté 800.000 € pour 5.000 bouteilles, pour une estimation de 500.000 €. Si Bertrand Delanoë avait fait cette vente en 2013, il aurait obtenu le double d’il y a sept ans. A-t-il fait un acte de bonne gestion de se séparer d’un actif qui monte ? On pourra en dire autant de cette vente, qui rapporterait probablement le double en 2017. C’est donc bien le symbole qui est recherché, symbole négatif d’une Nation perdante.