Dîner à l’Astrance – photos des plats vendredi, 6 juin 2008

champignons de Paris et foie gras, vaisseau amiral de l’Astrance, homard et légumes croquants

Christophe Rohat a mis ces tartes fines devant moi. A moi de me débrouiller !

rouget sur asperges, paleron sur petits pois, avec une crème à la réglisse

canard croisé, puis gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises

ce sont vraiment des framboises !

malgré l’harmonie de couleurs avec l’Yquem, ce n’est pas le premier dessert mais le second, un blanc-manger, qui a le plus fait briller l’Yquem

 Autre dessert délicieux mais moins adapté à l’Yquem.

visite à Krug et déjeuner aux Crayères jeudi, 5 juin 2008

Lorsqu’à Vinexpo en juin 2007, dans un splendide hall musée, l’aristocratie du vin de France avait attiré ceux qui achètent ou jugent le vin, j’avais rencontré Olivier Krug à la table où le Gotha du champagne exposait ses plus beaux joyaux. Promesse de se revoir, mais, mais, dans ces grands groupes, les impératifs commerciaux déterminent les emplois du temps. Un jour de juin, près d’un an après, la fenêtre de tir entrouvre ses volets et je me présente au siège de Krug. Un jeune ambassadeur anglais me fait patienter et Olivier rejoint la salle de réunion. Il parle du vin qui porte son nom avec un enthousiasme communicatif. Tout ce qui fait l’exception de Krug m’est exposé avec passion. Nous visitons la salle de fûts dont l’âge de certains dépasse quarante ans, puis la cave imposante où dorment des trésors, et nous remontons dans une petite pièce qui évoque ce que pourrait être un petit musée de la tonnellerie. Il y a chez Krug un minimalisme qui ressemble à celui de la Romanée Conti.

Alors qu’à Dom Pérignon on m’avait entraîné vers les 1973 ou les 1959, ce sont des fioles de 2007 qui vont être dégustées. J’ai pris des notes qui ne sont que des flashs éphémères, car ces vins vont évoluer à chaque mois de leur vie. Ce qui compte surtout, c’est le chemin qui conduit à l’assemblage du champagne Grande Cuvée. Voici ce que j’ai écrit sur ces vins clairs :

Mesnil 2007 : nez de miel et de caramel, belle acidité. Très buvable, agréable, citron vert.

Villers-Marmery 2007 : nez qui est plus pâte de fruits, un peu perlant, évoque les fleurs blanches et les groseilles blanches. Très belle acidité un peu mentholée. Acidité de cassis.

Ay  2007 : nez floral élégant et raffiné, mais plus simple en bouche. Il est fruité, de fruits roses, très goulu, aux accents de pêches, très goûteux et sexy, bonbon acidulé.

Ambonnay 2007 : nez discret, floral, subtil et racé. La puissance en bouche est spectaculaire. C’est fabuleux. L’équilibre est énorme. Il y a des fruits, des fleurs, des fruits confits et même des légumes verts. J’aime ce vin d’une grande fraîcheur.

Sainte-Gemme 2007 : nez très fin, subtil, presque indéfinissable. L’équilibre en bouche est joli. Il y a des fruits doux, jaunes et encore du bonbon acidulé. J’aime la fraîcheur de ce vin plus classique.

L’Ay 2004 a un nez nettement minéral par opposition à tous les 2007. L’attaque est merveilleuse. C’est doux comme de la soie et minéral come de l’ardoise. Puis apparaissent les fruits, les pêches et un soupçon de beurre et de toasté. Il est très joli, épicé, et j’aime sa fraîcheur.

L’Oger 2001 a un nez très rond, ensoleillé de fruits rouges et une trace de beurre. En bouche il y a des fleurs et des fruits classiques. Il joue un peu en dedans, d’une personnalité moins marquée, un peu conventionnelle, et je me demande si ce n’est pas moi qui sature à ce stade. Le citron vert et la groseille à maquereau lui donnent une fraîcheur remarquable.

Le Verzenay 1996 a un nez très pur, de cassis. Le vin a un bel équilibre, accompli, fait de fraîcheur et d’acidité jolie. Il y a des agrumes et des zestes, mais c’est la fraîcheur qui est confondante.

Nous arrivons enfin au Krug Grande Cuvée assemblage de ce qui précède, mais pas uniquement. Il y a en effet 118 vins différents dans l’assemblage, de sept millésimes remontant jusqu’en 1995. Le nez est plus vineux avec des légumes verts. Il est subtil. L’attaque est très belle, ronde, et plus joyeuse que chacun. Le milieu de bouche est structuré, plus feutré, mais va s’ouvrir. La fraîcheur est là, de fruits rouges et d’agrumes. Le final est long et complexe. Bien sûr, il faut que le vin se forme, car son bal des débutants, c’est dans six ans au moins. Sa rondeur joyeuse et sa fraîcheur de fleurs blanches sont déjà prometteurs.

Nous goûtons par contraste le Krug Grande Cuvée mis en bouteille tout récemment, qui a donc à peu près six ans de plus. Le premier changement, c’est la bulle, qui était en filigrane jusque là. Le nez est très Krug, le goût est très Krug, pur, typé, élégant et subtil en bouche. Il a un goût de revenez-y qui ne trompe pas. J’ai senti des notes fumées proches de l’infusion.

Si la soif de Krug est intarissable, les propos enflammés d’Olivier le sont aussi. En souriant il me dit : « si je parle trop, tirez sur la prise ». Je n’en aurai pas besoin, car tout ce qu’il dit parle de passion.

Nous allons déjeuner au restaurant les Crayères ou Didier Elena et Philippe Jamesse, chef sommelier, voulaient infléchir le jugement que j’avais eu lors du séjour qui suivait le centième dîner. Le jeune sommelier qui nous accueille nous emmène en cuisine saluer le chef, prêt pour un nouveau challenge.

La salle à manger est de toute beauté, et les tons de gris ocre sont apaisants. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’une charmante femme vient m’embrasser. Elle déjeune avec son mari. C’est la responsable d’un des vignobles d’Ile de France, le vin de Villiers-sur-Marne, dont je suis membre de la confrérie. Olivier suggère que nous goûtions le Krug rosé. Il a une phrase admirable lorsque je dis que je ne suis normalement pas fanatique de champagnes rosés : « c’est justement pour cela que nous avons fait Krug rosé ». J’adore. Olivier propose que nous goûtions le Krug Grande Cuvée. Je suggère que nous abordions aussi un millésimé. Olivier pense au 1995. Philippe demande dans quel ordre déguster. J’imagine que nous boirons les trois ensemble. Le décor est planté. Le maître d’hôtel demande ce que nous souhaiterions déjeuner. Nous nous en remettons à Didier Elena. Le bateau est lancé.

Il n’est pas tellement question de juger chaque vin, car chaque saveur va le faire varier, mais plutôt d’analyser les comportements. Sur un petit biscuit au chaource, le Krug rosé réagit comme le public quand un crooner esquisse les trois premières notes d’un standard. Sa couleur de rose saumonée appelle des saveurs de même couleur. Le cromesquis au champagne  vibre bien sur le Krug Grande Cuvée. Seul l’amuse bouche qui comporte un granité alcoolisé impose de boire de l’eau.

Dès que l’on présente devant mes yeux les langoustines, je sais que l’on a changé de monde. Nous sommes dans « ma » gastronomie. Le « ma » ne veut pas dire que j’en serais propriétaire mais plutôt qu’elle est celle que j’appelle de mes vœux. La chair de la langoustine est divine. Elle fait vibrer le Krug 1995 d’une impériale sérénité. Ce champagne est assis sur son trône, écoute ses sujets, et leur annonce que son règne ne se compte ni en septennats ni en quinquennats mais en siècles. Champagne taillé pour l’éternité il affirme son emprise sur nos sens. D’autres langoustines dans une pâte croustillante se trempent dans une rouille qui est un appel au Krug rosé. Ce plat aux cuissons exactes, à la lisibilité totale, nous fait entrer dans un monde qui est celui du vrai Elena.

Alors que Philippe m’avait dit que le pigeon que j’espérais pour le Krug rosé n’était pas présent à l’appel, voilà que l’on nous sert un pigeon sur un canapé flanqué d’un foie gras à peine poêlé. La chair du pigeon seule, sans sauce est un hymne à l’amour avec le Krug rosé qui gagne en noblesse. Le raffinement est total. Le foie gras quant à lui, d’une tendreté exemplaire, cohabite aussi bien avec le millésimé 1995 qu’avec la Grande Cuvée. Cette cuisine bourgeoise est un appel au bonheur.

J’essaie trois fromages différents pour chacun des Krug et le choix fait à l’œil se trouve justifié au palais. L’essai d’un roquefort au miel est plus ludique que gastronomique. Une tarte à la fraise des bois vient clore l’expérience dans un politiquement correct assumé.

Que dire des champagnes ? Le rosé a sa vie propre, capable de soutenir de nombreux plats, à condition que l’on reste dans un certain code de saveurs, car sa flexibilité est plus étroite que celle des blancs. Le Grande Cuvée est un champagne assuré, solide, à l’aise, mais il a quand même un peu souffert de la présence du 1995. Car ce champagne, c’est Stonehenge, c’est les pyramides d’Egypte, d’une solidité qui ne supporte aucune contradiction, taillé pour l’histoire, inébranlable ce qui n’est pas antinomique d’une capacité à créer l’émotion. Car ce champagne imperturbable sait se marier au foie gras, à la langoustine, et à une myriade de goûts.

Didier Elena est venu à notre table et je lui ai dit à quel point j’étais heureux que cette expérience corrige mon impression récente. Partager une journée avec Olivier Krug est un privilège auquel je suis infiniment sensible. Y ajouter l’expérience d’une cuisine qui tutoie les sommets, c’est  un couronnement à Reims.

visite de la maison Krug – photos jeudi, 5 juin 2008

Les établissements au centre de Reims

les fûts de vieillissement d’âges variables jusqu’à plus de quarante ans. A droite on voit des fûts neufs qui arrivent.

Je veux bien être fidèle à Krug, mais faut-il aller jusqu’à me marquer au fer ?

la petite salle de dégustation avec des vestiges de tonnelier et les vins clairs que nous avons dégustés.

étiquettes de vieux Krug – musée Krug jeudi, 5 juin 2008

Etant dans la salle de réunion, attendant Olivier Krug, j’ai eu le temps d’être émerveillé par ces rares témoignages :

Est-ce Gold Lac ou Cold Lac, ce Krug a une belle étiquette. Qui aurait dit que le nom de Krug serait associé au mot "mousseux" ?

Jean Henri Laffitte aîné à Rheims (!) livrait les Krug en bâteau à aubes. A droite, un ancêtre Krug (je suppose, ou est-ce George Washington ?).

deux magnifiques exemples de bouteilles fermées à l’aide de lanières avant que le fil de fer ne s’impose

Krug 1926 et Krug 1937, des légendes à faire rêver tous les collectionneurs de ce vin immense

deux Sillery "mousseux". Pourquoi ne fait-on plus aujourd’hui d’étiquettes aussi belles que ces oeuvres d’art ?

On pense souvent que Dom Pérignon est le seul à faire une communication sexy. Mais M. Collomb annonçait que son Sillery mousseux était un "Vénus Brand".

L’étiquette de Private Cuvée est encore en usage pour des millésimes récents. Celle-ci est plus rare, car il s’agit de commandes speciales pour le Royaume Uni.

visites du blog en mai 2008 mardi, 3 juin 2008

Voici le traditionnel tableau statistique :

blog : www.academiedesvinsanciens.org  
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temps passé sur le blog 65 323  heures

Ce qui est intéressant ce mois-ci, c’est le temps de visite extrêmement long : 9 minutes 54 secondes. Presque dix minutes.

Nous dépassons depuis la création 65 mille heures de visite.

Merci de votre assiduité.

déjeuner et dîner au restaurant Laurent – onze heures à table !!! vendredi, 30 mai 2008

De temps à autre, avec deux des plus fidèles de mes dîners, présents au centième, ce qui signifie beaucoup, et avec deux membres de l’académie des vins anciens, nous nous retrouvons pour un « casual Friday lunch », afin de partager des bouteilles apportées par certains d’entre nous. L’un des académiciens ayant cinq vins espagnols qu’il veut ouvrir, un des fidèles apportant un champagne et l’autre se chargeant des liquoreux, je trouve opportun de ne rien apporter, une fois n’est pas coutume, afin que le déjeuner ne finisse pas dans la débauche.

Nous nous retrouvons au restaurant Laurent qui, pour les fauves que nous sommes, est notre point d’eau favori. Le champagne apporté par l’un des amis est un champagne Crémant brut blanc de blancs Abel Lepitre 1979. C’est une curiosité, car la dénomination de « Crémant » a été abandonnée par la Champagne au profit d’autres régions mousseuses en 1974. Le vin a perdu toute sa bulle mais pétille en bouche, et plus d’un amateur dirait qu’il est madérisé. Lorsque l’on a accepté une certaine amertume, on voit apparaître des fruits bruns comme des prunes, et, avec un peu d’imagination, on trouverait un cousinage avec un sauternes qui aurait mangé son sucre. Le champagne un peu rebutant au début se domestique sur les petits amuse-bouche délicats.

Nous commençons la série espagnole par un Rioja Marqués de Riscal 1959 qui est un peu fatigué au premier abord mais va ordonner progressivement ses composantes. Il sert de faire-valoir à un Rioja Vina Real Reserva Especial des caves viticoles du nord de l’Espagne 1952 absolument charmant. Ce qui fascine, c’est l’équilibre qu’il a atteint. Sa plénitude est convaincante, et avec un peu d’imagination encore, on trouverait quelques accents de chambertin, mais un cran en dessous.

Sur ces vins nous goûtons une nouveauté, un thon fumé associé à du foie gras, d’un « graphisme » plutôt inhabituel pour Alain Pégouret. Le manque de délié gustatif me laisse un peu au bord de cette expérience.

Le pigeon est fort goûteux sur un  Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 à la personnalité plus virile que celle du 1952, mais avec moins de charme et de complexité. Sur les feuilles de branches de fenouil qui accompagnent le pigeon, l’accord est vibrant car le vin s’excite. J’aime un peu moins l’accompagnement à base de maïs qui représente un vagabondage gustatif quand on aimerait rester sur la tendreté de la chair du pigeon.

C’est maintenant qu’arrivent les deux vedettes espagnoles de ce déjeuner. Le Vega Sicilia Unico 1965 est spectaculairement bon, car il a l’équilibre et la sérénité du 1952, mais sur une structure beaucoup plus noble. C’est un vin riche, joyeux, facile à vivre, sans complication inutile mais une belle palette aromatique. Il est tellement rassurant ! Le Vega Sicilia Unico 1968 est complètement différent. Il a plus de fruit, plus de jeunesse, et sans doute plus de potentiel à terme. Il est un peu plus complexe, mais c’est quand même le 1965 qui gagne, du fait de sa sérénité assumée. Sur le pied de porc, traditionnel succès de la maison, les papilles et les vins se régalent.

Un classement provisoire de ces cinq espagnols serait : 1965, 1968, 1952, 1964 et 1959. Les deux Vega se finissent sur des fromages improvisés.

Lorsqu’on nous sert à l’aveugle les liquoreux, sans boire une goutte, juste au nez, je trouve le vin et l’année. C’est suffisamment rare pour que je m’en vante. Il s’agit d’un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981. Il faut dire que je connais ce vin par cœur, ce qui a été compris par mes amis comme un jeu de mots. Mais si l’on comptait le nombre de vins que je connais par cœur et que je ne retrouve pas, ni au nez ni en bouche, on comprendra mon plaisir, auquel s’ajoute le plaisir d’un vin divinement accompli. Tout le monde se moque de mes gloussements de bonheur qu’ils attribuent à mon amitié avec le truculent Jean Hugel, l’un de piliers de l’académie des vins anciens. Mais force est de reconnaître que ce vin a un équilibre, une justesse de ton, une séduction délicate à la Fragonard qui en font un très grand vin.

Le Château Sigalas Rabaud 1967 est résolument opposé. C’est une explosion de fruits tendant vers la mangue teintée de thé. La force est du côté du sauternes alors que la finesse est alsacienne. Ce qui est assez intéressant – et je l’ai pressenti – c’est que le stilton que l’on proposait sur le Sigalas Rabaud, fait un rejet de ce fromage, alors que le Hugel l’épouse. Cette différence de comportement des deux vins est intéressante à constater. Sur un soufflé à la fleur d’oranger les deux liquoreux sont à l’aise.

Mon quarté de ce déjeuner serait : 1 – Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981, 2 – Vega Sicilia Unico 1965, 3 – Vega Sicilia Unico 1968, 4 – Rioja Vina Real Reserva Especial des caves viticoles du nord de l’Espagne 1952.

Les discussions étant animés, riantes, avec humour, et le jardin du restaurant Laurent nous poussant au farniente, il fut facilement six heures de l’après-midi quand nous levâmes le siège. Chacun des présents, actif le reste de la semaine, a eu sa dose d’appels urgents, mais nous avons profité d’un bel après-midi. Traversant le couloir, nous croisons Philippe Bourguignon qui, perfide, nous lance : « il ne vous reste plus qu’à dîner de soir ». Nous nous regardons, nous sourions avec la folie des écoles buissonnières et nous lançons : « chiche ». Il ne reste plus à cette heure que les fidèles des dîners, les centièmes rugissants. Appels aux épouses, aux baby-sitters, tout s’organise. Je rentre chez moi changer de chemise, et nous revoilà pour dîner. Nous sommes à la même table et une autre à côté accueille quatre enfants des deux couples qui m’ont rejoint. J’ai eu le temps de commander les rouges en attendant les deux familles.

Philippe Bourguignon nous offre un champagne Charles Heidsieck blanc des millénaires brut 1995 qui est fort agréable dans sa simplicité. J’adore les amuse-bouche. L’un des amis a apporté Château Laville Haut-Brion 1951 à la couleur fort ambrée, dont les premières gorgées sont fatiguées. Mon ami sourit et me dit : « si c’était ton vin, tu dirais qu’il est merveilleux, alors qu’ici, tu le trouves fatigué ». Le vin se marie avec bonheur aux morilles et surtout au cappuccino de morilles qui les accompagne. Car ce goût très pur et doucereux ravive et rajeunit le vin. Notre maître d’hôtel, par un zèle assassin m’apporte une deuxième entrée car j’avais hésité avec le foie gras poêlé. Ces deux entrées sont merveilleuses et sont la représentation de tout ce que j’aime dans ce restaurant, fait de goûts purs, de pleine maturité.

Le premier rouge est un Clos de la Roche Cuvée Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1983. Je n’ai quasiment jamais bu des vins du domaine Ponsot. Ce qui m’a poussé à le choisir, c’est qu’il existe en ce moment un gros scandale qui agite le monde des vins rares, car monsieur Ponsot a fait retirer d’une vente aux enchères renommée plus de cent bouteilles de son domaine en déclarant que les millésimes mis en vente n’ont jamais existé. Comme le 1983 existe, c’est l’occasion d’essayer. Le nez est spectaculaire. Il est terriblement bourguignon, et avec l’un des amis, nous ferons la constatation d’une similitude assez frappante avec les vins du domaine de la Romanée Conti, par la salinité et l’exacerbation du caractère bourguignon. En bouche, c’est un festival de complexité. La personnalité est sauvage. C’est un cheval fougueux, indomptable. Et l’on se rend compte à quel point un tel vin transcende les espagnols que pourtant j’adore. Il y a une sensibilité, une émotion dans ce Clos de la Roche que seule la belle Bourgogne est capable de susciter. Sur la chair puissante du turbot, le vin réagit avec finesse.

J’avais aussi fait préparer une Côte Rôtie La Turque Guigal 1999. Ce vin est insolent. Il agace tellement tout en lui est facile. C’est Alain Delon quand il avait vingt ans ou George Clooney quand il ne prend pas de café. Le vin a un nez pur, puissant, que confirme la bouche. Il est jeune, pétulant, dans le fruit, au boisé très maîtrisé. Ce qui est insolent, c’est cette fraîcheur incroyable qui le rend désirable comme une boisson désaltérante, et c’est la facilité de lecture qui le montre presque simple alors que le travail est immense. Tel qu’il est, dans sa folle jeunesse, ce vin est parfait. Les fromages ne sont pas vraiment ses amis, mais cela n’a aucune importance. 

Mon quarté de la journée serait celui-ci : 1 – Côte Rôtie La Turque Guigal 1999, 2 – Clos de la Roche Cuvée Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1983, 3 – Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981, 4 – Vega Sicilia Unico 1965.

Dans le jardin toujours aussi agréable de nuit même si les femmes sont obligées de se lover sous des châles, les discussions nous entraînent jusqu’à une heure du matin, tandis que les enfants, accrochés à leurs consoles de jeu, rient de bon cœur. En quittant ce lieu, un rapide calcul m’apprend que je viens d’y passer onze heures dans la même journée. Le Guinness Book of Records n’est pas loin. Ce qui prouve qu’avec de bons amis et des grands vins, le temps suspend son vol.

déjeuner et dîner chez Laurent – les photos vendredi, 30 mai 2008

Le cadre du restaurant Laurent est assez unique !

Crémant Abel Lepitre 1979

Les bouchons des vins du déjeuner

Les deux Vega Sicilia, 1965 et 1968, bouchons très peu marqués

Les deux Rioja de 1959 et 1952

Rioja 1964

Les deux Vega Sicilia

Un plat au graphisme assez inhabituel pour Alain Pégouret

La belle cuisine du restaurant Laurent

Le beau vin de Hugel 1981

Tableau final et Sigalas Rabaud 1967

Le champagne Charles Heidsieck démarre le dîner

Laville Haut-Brion 1951 et Clos de la Roche Ponsot 1983

Côte Rôtie La Turque 1999

 

mariage de mon fils dans le Sud samedi, 24 mai 2008

Demain, nous marions notre fils. Il y a aura la famille courte, très courte des deux côtés, et les amis d’enfance des conjoints. Belle-fille et belle-mère ont pris en charge l’organisation et la logistique. Nul ne m’a contesté le choix des vins. Au dîner de la veille, nous sommes dans notre maison du sud. Pour tester quelques vins du mariage, j’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995. Très distingué, il est rafraîchissant. C’est un champagne de soif, que l’on reprend avec plaisir. Quelques notes fumées lui donnent un charme ravissant. Il est noble. Nous essayons ensuite un Meursault Genévrières Bouchard Père & Fils en magnum 2004. Ce vin qui titre 13,5° impressionne par sa puissance. D’une force dévastatrice, il envahit le palais, et gagne la bataille grâce à une palette de saveurs convaincante. Son fruit puissant nous conquiert, mais j’aimerais bien sûr quelques années de mûrissement de plus.

Nous nous retrouvons, le jour dit, à la petite mairie de la presqu’île de Giens, qui est une annexe de la mairie d’Hyères. Les femmes sont toutes belles, les hommes sont élégants. Les sourires sont sur toutes les lèvres. La salle de la mairie sert aussi de salle d’exposition à des peintres locaux. Il y aurait sans doute une thèse à faire sur le talent des peintres maritimes. Je hasarde l’hypothèse que ces artistes, subjugués par la beauté irréelle des paysages de nos côtes, ont décidé qu’il ne fallait pas lutter avec l’insolente perfection de la nature et ne produisent que des croûtes. Le maire adjoint est guilleret, visiblement impressionné par la beauté des amies de la mariée et gère la cérémonie avec beaucoup d’humour. Au moment de sortir pour être applaudis, les jeunes mariés sont inondés par une pluie de pétales de roses que les jeunes enfants lancent en larges poignées.

Nous nous rendons à notre maison de Giens, pour y tenir une fête qui sera la dernière, à la volonté de mon fils, car cette maison sera vendue dans moins de trois semaines. Le traiteur Matyasy d’Hyères a fait, sur trois repas de suite, un travail absolument remarquable. Les canapés en abondance sont délicieux, goûteux et raffinés et le repas du soir a été exécuté d’une façon qui pourrait rendre jaloux plus d’un restaurateur.

Au buffet du midi, j’ai invité le sympathique maire, à la gaieté si communicative. Nous avons trinqué, et au moment de son départ, lorsqu’il embrassa ma belle-fille, il eut ces mots définitifs, à graver dans le marbre, que je ne peux m’empêcher de rapporter. De famille arbannaise depuis des siècles, avec un accent local chantant comme les cigales, il dit à la mariée après l’avoir embrassée : « lors de la cérémonie, je ne me suis pas permis de vous embrasser, car je ne voulais pas ajouter à l’émotion. Mais j’ai bien senti que nos regards se sont embrassés ».

A table nous goûtons Champagne Henriot en magnum 1996, champagne très agréable, à l’acidité plaisante, qui se boit avec joie. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995 est réservé pour le dîner. Nous buvons ensuite un Chablis Grand Cru Les Preuses William Fèvre 2006 très délicat, aérien, très chablisien avec une retenue distinguée. Les rouges n’étaient pas prévus au programme, mais ma fille aînée n’appréciant que cette couleur, c’est un Château Meyney en double magnum 1969, de l’année de naissance de non fils, qui étanche son désir de rouge.

J’avais prévu pour les trois repas, de midi, soir en midi du lendemain, d’ouvrir un Château Raymond Lafon 1985 en impériale, dont l’or presque auburn explose comme un soleil. Il me semblait que trente personnes en trois repas viendraient à bout du volume de six litres de ce sauternes. Nous n’en boirons en fait qu’un peu plus de la moitié. Les évocations du sauternes sont nombreuses. Je mettrais en tête les pâtes de fruit, les fruits confits, et une légère trace de miel. Mais ce qui me fascine, c’est la fraîcheur en bouche de ce liquoreux, qui glisse avec un goût de revenez-y que la demi-bouteille restante – qui est en fait l’équivalent de quatre bouteilles – ne semble pas confirmer.  

Le charmant maître d’hôtel eut l’idée aventureuse de mettre en marche une fontaine de chocolat par un vent d’est sournois. Un des amis de mon fils pris d’une gourmandise précipitée fut tagué, entartré par la vilaine machine de la tête au pied. Lorsque tout revint dans l’ordre nous pûmes plonger des petites meringues dans la mer calmée de chocolat pour accompagner un Rivesaltes 1955, compagnon idéal du chocolat avec ses notes de café.

Les plus fous parmi les jeunes allèrent faire du kayak dans une onde remuée d’un fort vent, puis ils se provoquèrent au karting pendant que ma génération récupérait des excès du buffet plantureux.

Le dîner se tient dans la maison de Giens, et nous goûtons les deux champagnes, l’Henriot 1996 et la Cuvée des Enchanteleurs 1995. Si la finesse de structure parle nettement pour la Cuvée des  Enchanteleurs, le plaisir donné par l’Henriot 1996 n’est pas très éloigné.

Le Chablis Grand Cru Les Preuses William Fèvre 2006 continue à être apprécié, ma bru l’ayant pris en sympathie active, et le Meursault Genévrières Bouchard Père & Fils en magnum 2004 trouve son public auprès des amateurs de vins puissants, immédiatement évocateurs de plaisir.

Le Château Meyney en double magnum 1969 conquiert par sa subtile grâce, faite d’une attaque assez amère, saline pour certains, suivie d’un final délicat et doucereux. Mais l’assemblée comptant beaucoup de convives nés la même année que ma belle-fille, c’est-à-dire 1966, c’est le Cos d’Estournel 1966 qui étonne la quasi-totalité des amateurs des tables. Car ce vin d’une jeunesse folle évoquerait plus volontiers un vin de vingt ans plus jeune que le quadragénaire qu’il est aujourd’hui. Typé, précis, clair dans son expression, c’est un bordeaux de grande tenue, charnu et plaisant à boire.

Sur le dessert malheureusement inadapté au sauternes, car il s’agit de fruits rouges, le Raymond-Lafon fait malgré tout belle figure, du fait de sa fraîcheur, mais les plus avisés lui préfèrent le champagne pour les fruits. Sous un ciel sans vent mais porteur de rares gouttes de pluie, le temps était à la danse, entre adultes souvent, mais aussi avec les rejetons encore éveillés des jolis couples de ce mariage.

Le lendemain midi, le repas se tient à notre maison « sur le continent », d’où l’on voit en ligne droite la maison de la presqu’île que nous allons abandonner. Des tentes ont été dressées, car la météo n’était pas optimiste. Au moment où les convives arrivent, la pluie est d’une force extrême, nous pressant les uns contre les autres sous la tente protectrice. Les mêmes vins se retrouvent, l’Henriot 1996, la cuvée des Enchanteleurs 1995, le Chablis les Preuses 2006 qui a gagné en courage d’être oxygéné, le Meursault Genevrières 2004 auquel j’ai ajouté un Mas de Daumas Gassac blanc 2001 très vaillant, avec une belle puissance et un fumé convaincant. Le Château Meyney continue de séduire et le sauternes se boit peu après tant d’agapes. Le soleil apparaissant les jeunes actifs se provoquent au tennis, vont ensuite nager en mer.

L’assemblée se quitte progressivement en vastes embrassades. Tout le monde a le sentiment d’avoir vécu un mariage réussi, chaud au cœur, de bonne chère grâce au traiteur et au personnel de service engagé et sympathique et de bons vins, d’un plaisir souriant. Bon départ pour un couple qui s’unit.