dîner à l’Astrance – les photos mardi, 29 juillet 2008

les bouteilles du dîner, dans l’ordre de service

le beau bouchon du Mumm Cuvée René Lalou 1966

Sablé à la truffe d’été, huile de noisette et Foie gras mariné, galette de champignon de Paris, un "must" incontournable

Langoustine dorée, chou cuisiné à la cacahuète et Rouget, oignon rouge et poireau

Veau grillé, jus de viande, purée de griotte et Agneau grillé, aubergine, curry noir

la couleur merveilleuse du Dom Ruinart rosé 1981 et Vieille Mimolette, gelée de fruits rouge (très légère), dont l’accord ne me convainc pas.

Génoise au pamplemousse et yuzu

et, non photographiés,

Mangue et agrumes caramélisés

Madeleine au miel de châtaignier

102ème dîner de wine-dinners au restaurant L’Astrance mardi, 29 juillet 2008

Le 102ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant l’Astrance. En cette fin juillet l’atmosphère est lourde, mais une petite brise longe la rue Beethoven, donnant une impression de frais. Les vins sont depuis plus de quinze jours dans la cave du restaurant. Je viens pour ouvrir les bouteilles, filmé par une chaîne de télévision, et répondant aux questions d’un journaliste qui a choisi comme sujet le problème des faux qui pourrissent le marché des vins d’exception. J’ouvre les bouteilles et le nez qui me paraît le plus sympathique est celui du Volnay 1928, chaleureux au possible. Nous dissertons longuement sur ce qui me permet de penser que l’Yquem 1900, bouteille légendaire que j’ouvre ce soir, est une bouteille authentique. L’examen visuel est plus que rassurant. Mais l’extraction du bouchon et le parfum qui se dégage sont la preuve la plus absolue qu’il s’agit d’un magnifique Yquem 1900.

Les premiers convives arrivent et j’explique aux nouveaux venus comment profiter de ces dîners. Une personne évoque Selosse, ce vigneron talentueux de Champagne et je décide de faire ouvrir le champagne Initiale de Jacques Selosse pour étancher une possible soif et nous permettre d’attendre un éventuel retardataire. Nous prenons possession du trottoir devant le restaurant et au dessus de nos têtes un hélicoptère tourne et retourne. Nous pensons que le convive non encore présent aurait choisi ce mode de locomotion mais il arrive avec le sourire au guidon d’un scooter. Le champagne est très pur, d’un fort caractère sans concession, comme celui qui l’a fait. Le petit sablé est un peu lourd pour le champagne alors qu’une amande blanche et un petit dé de pomme Granny-smith l’excitent élégamment.

Notre groupe de huit personnes est composé de trois membres de ce que j’appelle la dream-team car il s’agit des plus fidèles d’entre les fidèles. L’un est venu avec sa compagne et ses parents, et un autre avec une relation professionnelle japonaise. Ce représentant de l’Empire du Soleil Levant ne profitera pas longtemps des trésors culinaires et œnologiques, car à la fin du troisième plat, il sortit s’étendre sur le macadam achevé par la profusion de bonnes choses. Il fut mis dans un taxi et pris en charge à son hôtel pour aller rêver dans son lit de ce qu’il manqua.

Bien sûr, cela nous permit de faire du mauvais esprit sur la cuisine de Pascal Barbot qui décime les samouraïs, mais ce n’est que de l’humour, car la cuisine de Pascal Barbot prouva une fois de plus sa pertinence et son talent. Voici le menu : Sablé à la truffe d’été, huile de noisette / Foie gras mariné, galette de champignon de Paris / Langoustine dorée, chou cuisiné à la cacahuète / Rouget, oignon rouge et poireau / Veau grillé, jus de viande, purée de griotte / Agneau grillé, aubergine, curry noir / Vieille Mimolette, gelée de fruits rouge / Génoise au pamplemousse et yuzu / Mangue et agrumes caramélisés / Madeleine au miel de châtaignier.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1966 se présente dans la magnifique bouteille au verre biseauté et dans nos verres sa couleur est dorée d’un or brun légérement foncé. La bulle est présente mais discrète et en bouche, le vin est délicieux. 1966 est une grande année pour le champagne et ce Mumm a une personnalité rare. Le nez est de miel, et forme avec le champignon de Paris un accord d’une subtilité absolue. La préparation de champignon et de foie gras est une institution, qui montre une fraîcheur liée à l’épaisseur des tranches. La petite crème citronnée rajoute du piquant à la fraîcheur et le miel du champagne enveloppe le tout. C’est pour les novices une remarquable introduction au monde de la gastronomie raffinée de Pascal Barbot.

Le Bâtard Montrachet Veuve Moroni 1992 est d’un jaune d’une belle jeunesse. Le nez est expressif sans exploser. Ce qui est assez spectaculaire et ma voisine imagine que c’est voulu, c’est que l’odeur insistante de miel de ce vin fait une continuité précise avec le miel du champagne. C’est étonnant et heureux, mais c’est fruit du hasard. Le goût est délicat. C’est un Bâtard Montrachet subtil que l’âge a agréablement équilibré. Nous différerons dans l’analyse avec un de mes fidèles amis qui le trouve plus paradant que discret. Ce n’est pas mon avis. La vedette est au plat. Car la cuisson des langoustines est idéale, des parties presque crues exacerbant la saveur de la chair, et les choux sont divins  et cohérents avec le crustacé.

Quand le Château Carbonnieux rouge 1928 est servi, il est inimaginable d’envisager que la couleur du vin dans nos verres puisse être de 1928. Le nez est intense comme celui des plus grands bordeaux, et en bouche, le vin est impérial. On aurait du mal à lui donner plus de quinze à vingt ans d’âge alors qu’il en a quatre-vingts. Ceci conduit à une remarque à propos du sujet choisi par le journaliste. Je suis absolument certain de la provenance des Carbonnieux 1928 que j’ai achetés en quantité il y a plus de vingt ans. Ayant bu beaucoup de Carbonnieux 1928, je sais qu’ils sont réels, ce qui est corroboré par le bouchon qui lorsque je l’ai ouvert s’est fractionné en mille morceaux. Or tel qu’il est là, ce vin à la couleur rouge sang et à la jeunesse folle ne pourrait pas être accepté comme un vin cacochyme. Or il l’est. Ce vin est une divine surprise plébiscitée par tous. Le choix d’un rouget sur ce rouge est évidemment pour me plaire. La chair du poisson entier est sauvage, pure, intense, et c’est une des meilleures préparations possibles du rouget, même si l’on se bat parfois avec les arêtes. Les oignons qui accompagnent forment un tandem avec le poisson beaucoup moins accepté que le chou avec les langoustines. C’est donc sur la chair seule qu’il faut profiter de ce merveilleux vin.

Le Volnay Cuvée Blondeau Hospices de Beaune 1928 est une bouteille d’une rare beauté, soufflée à la main, à l’étiquette simple mais raffinée. La couleur est un contraste inouï avec celle du bordeaux de la même année. Car ici, c’est le rouge affadi d’une tuile pâle. En fait le pigment a dû glisser dans la partie basse de la bouteille car les dernières gouttes versées sont presque noires. L’impression que donne ce vin est très proche de celle que j’ai ressentie la veille avec un Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes 1937. On s’inquiète d’une fatigue apparente, mais le vin fait tout pour prouver qu’il est toujours vivant. Et le charme agit même si le vin n’est pas d’une pureté virginale. Les dernières gorgées sont d’un grand et vrai plaisir. La chair du veau est splendide et les griottes mettent en valeur le Volnay parce que paradoxalement leur acidité efface celle du vin pour l’arrondir.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1992 apporte sa sérénité à ce stade du repas pour notre plus grand confort. Et ce vin délicieux mais connu, car on remonte le temps de 64 ans, sert à mettre en valeur l’intérêt des vins anciens, car le caractère encore un peu brut, non décoffré de ce vin encore une fois d’un goût superbe est loin d’avoir atteint ce qu’il pourra offrir quand le temps aura fait son œuvre de cohésion et d’intégration. L’agneau est sans doute le plat le moins excitant de tous ceux que nous avons dégustés, mais la fatigue, qui a terrassé notre japonais parti sur les terres du soleil couché, joue sans doute un rôle. Le plus divin de ce plat, c’est le curry noir où la réglisse forte excite virilement la Côte Rôtie.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1981 d’une bouteille à l’élégance exceptionnelle irradie dans nos verres d’une couleur à la beauté sans pareille. Le rose est saumon, il est pêche, il est cuisse de nymphe émue. Sa bulle est active, son nez est foudroyant et en bouche c’est un bonheur incommensurable. Ce champagne est au sommet de son art. Lorsque Pascal Barbot et Christophe Rohat m’ont proposé de mettre ce champagne à ce stade du repas, alors que je l’avais placé en ouverture, j’ai accepté l’idée qui m’a conduit à faire ouvrir le Selosse. Lorsque j’ai lu que l’association prévue est avec une mimolette et une sauce de fruits rouges, j’ai pensé à un caprice de chef que je n’allais pas brider. C’est effectivement osé, capricieux, et nos papilles chavirent. Mais le résultat n’est pas convaincant au-delà de l’audace de l’exercice de style. Alors, l’esprit vagabonde et l’on conçoit à quel point ce champagne ouvrirait les bras à de beaux plats du répertoire, et nous pensons qu’un ris de veau entier serait un très beau partenaire. Ce champagne est merveilleux.

Chaque fois qu’un Yquem apparaît sur une table, la joie est au rendez-vous. Le Château d’Yquem 1985 est d’une belle jeunesse. Sa couleur est encore celle d’un enfant. En bouche il est rassurant, charmeur et enveloppant. Je me rends compte que ce vin fera partie dans quelques décennies des Yquem secs. On le sent taillé pour être un partenaire de haute gastronomie. Il se marierait avec des viandes blanches y compris de poissons avec une compréhension absolue.

Il y a du sucre dans les deux desserts, ce qui annihile toute possibilité d’accord avec les deux Yquem.

Le Château d’Yquem 1900 est présenté avec sa magnifique bouteille au cul d’une rare profondeur, au verre blanc et à la couleur de vin foncée comme de l’acajou. Dans le verre c’est un or brun prononcé. Le parfum est envoûtant d’agrumes et mangues confites. En bouche c’est un message d’amour. Il fait comprendre deux choses. La première c’est l’incroyable distance qui le sépare de l’Yquem 1985 que nous avons aimé. Nous sommes à des années-lumière de son très jeune cadet, de 85 ans plus jeune. La deuxième, c’est que nous comprenons ce qu’est le monde des vins d’exception. C’est un peu ce qui sépare le top model de la miss de sous-préfecture, ce qui sépare le cap-hornier du marin d’eau douce, ce qui sépare l’alpiniste des sommets de plus de 8000 mètres de l’escaladeur de week-end. Car cet Yquem 1900 appartient à une race, une élite, une exception. L’équilibre de ce vin est total, c’est un plomb fondu de bonheur. Seules les petites madeleines répondent à sa séduction, car les mangues sont trop sucrées pour correspondre aux désirs du vin. Deux des convives ayant participé au centième dîner au château de Saran ont goûté avec moi l’Yquem 1904. Nous convenons que le 1900, même s’il est exceptionnel, est surclassé par le 1904 bu en Champagne.    

Nous somme sept à voter pour neuf vins. Chacun des neuf vins figure dans les votes ce qui est agréable. Il n’y a que deux vins classés premier, car six sur sept votants ont plébiscité l’Yquem 1900. C’est l’Initiale de Selosse qui recueille le septième vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1900, 2 – Château Carbonnieux 1928, 3 – Champagne Dom Ruinart rosé 1981, 4 – Volnay Cuvée Blondeau Hospices de Beaune 1928. Ce vote a le même ordre que celui d’un des plus fidèles de la dream team.

Mon vote est : 1 – Château d’Yquem 1900, 2 – Château Carbonnieux 1928, 3 – Champagne Dom Ruinart rosé 1981, 4 – Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1966.

Il est intéressant de constater que le Volnay, objectivement fatigué mais largement plaisant a été retenu dans cinq votes sur sept votants. C’est un encouragement à mettre en valeur les vins anciens. On note aussi que les trois vins les plus vieux, et de loin, figurent tous dans le vote du consensus. C’est un précieux encouragement à continuer dans la voie de mise en valeur des vins anciens.

Pascal Barbot est venu recueillir nos avis en fin de repas. Il est certain qu’il est un prince des cuissons. Le rouget et sa chair merveilleuse, la langoustine et le chou sont des moments inoubliables. Le fait qu’il y ait des petits points améliorables tels que le sucre dans le dessert ou l’importance de l’oignon montre que dans une œuvre humaine on pourra encore aller plus loin dans une excellence qui me ravit. Les petites crèmes sont des signatures ravissantes de chaque plat. Si au cours de ce chemin il y a des petites extravagances comme la mimolette, tant mieux, car il ne faut pas être rigide et il faut aussi faire l’école buissonnière.

Ce fut un magnifique repas. Comme dans les pièces de théâtre il y eut un épisode vaudeville, car le japonais malade s’était évanoui en emportant la veste d’un autre convive. La joie d’être entre amis se prolongea encore quand un des plus fidèles suggéra que l’on boive quelque chose. Ce fut un champagne Salon 1988 divin comme on peut l’imaginer, au fumé redoutable, sur lequel nous trinquâmes avec Alexandre, Thomas et un troisième membre de la joyeuse équipe de l’Astrance, ce qui sonna la fin d’un immense moment de bonheur partagé.

102ème dîner : les vins mardi, 29 juillet 2008

Champagne Initiale de Jacques Selosse

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1966 

Bâtard Montrachet Veuve Moroni 1992

Château Carbonnieux rouge 1928 

Volnay Cuvée Blondeau Hospices de Beaune 1928

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1992

(même les rats sont des mangeurs d’étiquettes !)

Champagne Dom Ruinart rosé 1981 ?

Château d’Yquem 1985

Château d’Yquem 1900 ?

la mention de négoce est particulièrement intéressante (est-ce un parent de Roland Garros ?). A qui est-ce expédié ?

les photos des deux parties de l’étiquette ont été faites sans enlever le film plastique qui entourait la bouteille.

Sainte-Hune 1976 et Clos des Papes 1937 chez Laurent lundi, 28 juillet 2008

Un ami américain d’origine danoise vivant à Las Vegas m’annonce sa venue à Paris avec son épouse. Devant tenir le 102ème dîner de wine-dinners lors de son séjour, l’occasion se crée de déjeuner ensemble au restaurant Laurent. L’équipe est au complet en cette fin juillet. Je félicite Alain Pégouret, le talentueux chef, pour l’article élogieux que lui a consacré François Simon sur une page entière du Figaro. Philippe Bourguignon me dit que depuis cet article, plus de 90% des entrées choisies ont été le légendaire cocktail d’araignée de mer, encensé à juste titre par le plus turbulent et talentueux des journalistes de gastronomie. Je confie la bouteille que j’ai apportée à Patrick Lair et à Ghislain. Nous sommes dans le beau jardin et de notre table nous voyons la magnifique fontaine toute proche des jardins des Champs-Elysées qui projette un peu de fraîcheur en cette journée d’un soleil de plomb. Nous commandons bien sûr la célèbre araignée qui accompagne un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1976 absolument spectaculaire. Ce vin au jaune doré et vert d’une intensité rare est à un stade de perfection absolue. Ses trente deux ans ont permis un travail d’intégration de toutes les composantes pour atteindre un équilibre total. Le vin glisse en bouche avec un gras sensuel, combinant les fruits jaunes et or. Nous convenons avec mon ami que ce vin est en état de grâce, au sommet de ce qu’il serait capable d’offrir, c’est-à-dire le meilleur.

Sur un flanchet de veau délicieux, doux et suave, on me fait goûter la première gorgée du Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes Paul Avril 1937 que j’ai apporté pour faire plaisir à mon ami. Le vin n’a été ouvert qu’en début de repas. Je sens combien l’oxygénation lente manque à ce vin. Je fais la grimace, car la fatigue du vin est grande. Mon ami sourit car il perçoit que le vin est bien vivant et va revenir en forme rapidement. Il est porté par son acidité, selon mon ami, ce qui promet un réveil rapide. Je continue à regretter cette fatigue gênante, mais je perçois sous elle un goût prometteur. Et effectivement, plus le temps passe et plus l’âme d’un Chateauneuf se révèle. Ce qui me frappe, c’est que sous le voile de fatigue, le message est d’une rare jeunesse. J’en viens à reconnaître les goûts des Châteauneuf que j’aime. Les dernières gorgées, comme souvent, sont de loin les meilleurs. Le plaisir que me donne la lie est tout en velouté, en charme et en expression.

Nous sommes l’un et l’autre des amateurs de vins anciens, et nous remarquons que le plaisir que nous avons pris avec ce vin vient de notre capacité à accepter un vin tel qu’il se présente. Il est sûr que ce vin a dépassé son sommet d’expression. Mais tel qu’il est il nous a offert de beaux moments. Les palmiers du restaurant Laurent, ceux que l’on trouve dans l’assiette et non dans le jardin, sont les meilleurs du monde. Encore un beau déjeuner plein de joie en ce temple du bien manger.

Un Bandol magnifique dans le Sud dimanche, 27 juillet 2008

Le lendemain midi un autre champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 se présente beaucoup plus chaleureusement sur de fines tranches de poutargue. Il est typé, rond, expressif avec des notes fumées de fruits confits. Ceci montre l’influence qu’avait eue le Champagne Roederer pour affadir ce champagne hier.

Sur un agneau de Sisteron le Château Pradeaux Bandol 2003 est chaud, chantant, joyeux, avec un caractère râpeux qui fait plaisir. Il est assez évident que lorsque l’on attend un Bandol, le plaisir est immense en buvant ce vin, car c’est le Bandol dans sa plénitude solaire. Si l’on attendait autre chose, par exemple en dégustant à l’aveugle, on serait loin d’avoir la même satisfaction. C’est un peu comme lorsqu’on accueille un « pays », quelqu’un de sa région. Le sourire est plus large et le cœur bat plus vite.

 

caprices d’été samedi, 26 juillet 2008

Des amis des enfants viennent à la maison. Le barbecue crépite. Un Champagne Louis Roederer 2000 se présente comme un champagne bien fait, politiquement correct. Je suis un peu sur ma réserve, mais lorsque l’on tartine un pâté aux tomates, lorsque des saucisses aromatisées aux herbes réchauffent une tranche de pain, le champagne se met à vibrer et devient plus excitant, trouvant une personnalité sympathique. Sur un foie gras préparé par Michel Troisgros, le champagne devient nettement charmant.

J’ouvre un champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 qui offre un net contraste. On sent un âge qui se révèle, et une pâleur de trame comparée à celle du Roederer. C’est un champagne plaisant, mais nettement plus léger.

Sur un risotto aux traces d’huile de truffe, un Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005 est une bombe incendiaire. Ce vin qui affiche par modestie 14,5° est un Dieu en puissance. Dans vingt ans il sera magnifique. Pour l’instant, sa force poivrée, pimpante et piquante est évidemment buvable, mais on regrette de commettre un infanticide en ne prenant de ce vin que sa brutalité glorieuse.

L’ami ayant apporté un Château Simone rouge 2004, nous l’ouvrons. Nettement plus proche de nos désirs, ce vin a beaucoup de charme. Sa structure moins puissante est orientée vers des fruits noirs un peu macérés, vers des myrtilles et du poivre doux. Le vin est agréable, mais handicapé par la rémanence du goût du vin précédent. Une salade de pêches sur des gavottes dans la quiétude d’une des plus belles soirées d’été relance les conversations.

Ce parcours improvisé où l’on croise des vins à boire ou ne pas boire est un caprice d’été.

champagne Krug 1982 samedi, 19 juillet 2008

Le barbecue qui crépite  cuit des dorades royales marinées de grand matin. Des chipolatas viennent s’intercaler sur une grille. J’ouvre champagne Krug 1982.

L’ouverture est d’un pschitt poli, la couleur est d’un ambre au raffinement irréel. Ce champagne est d’une complexité inégalable. Le nez annonce un floral romantique et en bouche au contraire c’est un vineux profond qui nous fait voyager dans toutes les saveurs les plus complexes, l’oriental primant. Les petites saucisses épicées amusent le Krug qui, comme Rafael Nadal sur un court de tennis, ne cédera pas un pouce de terrain. Sur la chair exquise de la dorade, le Krug va se faire enveloppant, charmeur, pour délivrer des notes d’une délicatesse infinie. Le Krug pianote alors comme Franz Liszt. 1982 est une année qui est en ce moment au paroxysme du bonheur. Car les champagnes de 1982 n’ont pas franchi la ligne qui caractérise les champagnes à maturité. Il y a tant de signes de jeunesse que l’on est à un optimum. Avec Salon 1982, Krug 1982, Krug Clos du Mesnil 1982, on tient sans doute ce qui se fait de mieux dans le champagne toujours jeune. Amour et Krug 1982, c’est un hymne à la vie.

deux grands Pauillac : Lynch Bages et Lafite dimanche, 13 juillet 2008

Nous retournons avec les enfants à la maison d’hôtes d’Yvan Roux et sur le délicieux Pata Negra gras à souhait, le champagne Laurent Perrier Grand Siècle s’ébroue, comme à son habitude. C’est un bon champagne, mais qui risque de ne plus correspondre à sa situation tarifaire.

Un tempura de fleurs de courgettes glisse ses douceurs sur ce bon champagne très jeune. Des seiches dans leur encre appellent le Château Lynch Bages 1978 que j’ai apporté. Son velouté, sa fraîcheur signent un vin délicat et charmeur. Je me mets à penser qu’ayant commencé ma cave en 1970, l’année 1978 est une année jeune pour moi. Or ce vin a aujourd’hui trente ans. Un vin de trente ans appartient, dans le monde du vin, au domaine des vins anciens. Or le goût de ce vin n’a pas l’ombre d’une des caractéristiques des vins anciens. Il est encore d’une belle jeunesse, ce qui oblige à reconsidérer les concepts de jeunesse ou vieillesse.

La chair d’un chapon s’accorde merveilleusement au vin rouge. Yvan me gâte avec une glace vanille à fondre de plaisir.

(version 1 : le chien d’Yvan veille à la sécurité du sac des dames – version 2 : le sac des dames, c’est un coussin idéal pour s’offrir un petit roupillon)

Il est intéressant de constater que le lendemain, sur un barbecue, nous faisons cuire deux épaules d’agneau de Sisteron, désossées, lardées d’ail et enrobant des branches de thym. Et nous ouvrons un Château Lafite-Rothschild 1981. Immédiatement, le nez et la bouche confirment le statut exceptionnel de Lafite. Le nez est racé et le goût est d’une plénitude immense, long, profond, ciselé avec précision. Et l’on mesure le chemin qui sépare Lynch Bages de Lafite. L’année 1981 n’est pourtant pas un phare dans l’histoire de ce premier grand cru classé, mais le vin, ce soir, s’est paré de ses plus belles qualités. Lynch Bages ne doit pas être rabaissé par cette comparaison, car nous l’avons aimé. C’est plutôt Lafite qui nous a offert une prestation que nous n’attendions pas à ce niveau.

Le toucher de bouche a encore frappé vendredi, 11 juillet 2008

Ma fille et sa fille sont depuis plusieurs jours dans notre maison du sud. Mon gendre arrive à l’avion du soir pour le dîner. Il faut fêter son arrivée, et j’ouvre un Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1998. Nous commençons par un tempura de fleurs de courgettes qui fait s’ébrouer le vin un peu froid. Le risotto à la truffe blanche réveille le vin qui montre de rares qualités. Le nez est fin et précieux, et le goût est envahi de fleurs blanches, comme on en trouve dans de grands champagnes. Tout ce que récite ce vin est extrêmement subtil. Pour finir le vin nous éclatons des copeaux de mimolette qui accompagnent sans le marquer ce bourgogne grand cru délicieux. Face à la mer il n’est pas utile de détailler mais ce que ce vin a de remarquable, c’est une simplicité généreuse et une franchise de ton porteuse de plaisir. Chaque gorgée rassure et fait sourire. C’est un grand vin. Le dessert est une simple salade de pêche, mais existe-t-il vraiment un goût plus voluptueux qu’une salade de pêche en plein été ? L’éternelle querelle entre les cigarettes russes et les gavottes ressurgit comme il se doit. Je me souviens d’une âpre discussion avec François Simon sur ces deux compagnons de la salade de fruit. Comme mon épouse, François Simon considère la Gavotte comme un sommet de raffinement, alors que je trouve dans la cigarette russe un plaisir sensuel qui n’a pas d’équivalent. Et c’est lié à la texture. Il y a pour le vin une expression que j’ai du mal à accepter qui est le « toucher de bouche ». Ce concept me rebute. Mais s’il doit avoir une signification, c’est pour la cigarette russe qui a un toucher de bouche à cent coudées au dessus de la gavotte, qui se brise dans et hors de la bouche, oblige à ramasser des miettes éparses. Notre ancien président Jacques Chirac a développé un amour des arts premiers. Je prétends que cigarette russe et salade de pêche constitue l’épistémè du goût parfait. Rien ne peut être plus complet que cela. Le Chevalier Montrachet est oublié à cette heure. Mais la supernova de ce dîner, c’est ce goût qu’aucun Dieu de l’Olympe ne pourrait renier.

Récidive à la table d’hôte d’Yvan Roux samedi, 5 juillet 2008

A peine quelques jours plus tard des amis me demandent les coordonnées d’Yvan Roux pour y aller dîner. J’aurais tellement envie de leur communiquer mon amour de ce chef que contre toute étiquette, je m’impose à leur table. Le rendez-vous est pris chez eux, dans leur sublime maison de la presqu’île de Giens où face à l’un des plus beaux panoramas qui soient, nous goûtons un Meursault 2002 d’un négociant de leurs amis (est-ce Fatien, je ne sais). Ce meursault a un nez d’une puissance et d’une expressivité remarquables. Il est tout en force, joyeux, goûteux, mais son envahissement exclut un peu trop la finesse. J’ai peur pour le vin que j’ai prévu d’apporter chez Yvan Roux, car c’est un peu l’opposé de ce meursault.

Nous nous rendons chez Yvan Roux avec un couple de leurs amis, lui américain, elle d’une des plus grandes familles historiques du vin de Bordeaux. Sur un Pata Negra bien gras et magistralement goûteux, le Chablis Grand Cru les Preuses William Fèvre 2006 en magnum se comporte avec une subtilité qui montre que l’on peut pianoter sans écraser les touches. Un demi-homard délicieux cohabite très bien avec le chablis, grâce au corail de sa tête, et un saint-pierre de taille raisonnable correspond à toutes mes envies. Une nouvelle préparation d’abricots est aussi talentueuse que le sabayon récent.

Par une soirée plus fraîche que les précédentes qui cache les jolies femmes sous des châles, nous avons une fois de plus bien dîné devant le spectacle féerique de cette séduisante maison.