Brasserie de Saint-Louis en l’îlesamedi, 23 octobre 2010

Lorsque nous étions fiancés, ma future femme et moi, nous habitions l’île Saint-Louis, dans ce que l’on peinerait à nommer un studio : la douche était dans le coin cuisine, des toilettes partagées se nichaient entre deux étages et nous couchions sur un matelas. Nous avions une minuscule terrasse qui nous rendait propriétaires du ciel de Paris, et les silhouettes des monuments donnaient une perspective sur la merveilleuse histoire du centre de Paris. Traverser la Seine, c’était quitter notre village et aller "en ville" à Paris. Pour dîner, les Anysetiers du Roy nous paraissaient inaccessibles, aussi allions nous à la Brasserie de Saint-Louis en l’île. L’atmosphère de brasserie à l’ancienne, le service dégourdi d’un virtuose du plateau, cela nous enchantait. Aujourd’hui, après avoir visité la FIAC dans un Grand Palais que l’on n’a jamais vu aussi beau, l’envie de nostalgie nous prend, par un besoin de compensation assez naturel avec cet art moderne qui s’épuise d’avoir trop voulu innover ou provoquer.

La brasserie n’a pas changé d’un iota. Il y a toujours le lion dans une charrette peint sur la vitre extérieure, dont la peinture a sans doute été rafraîchie, la cigogne qui se repose dans la hotte d’un vendangeur. Notre serveur – si on peut l’appeler serveur – est l’opposé de celui de notre souvenir. Ronchon, oubliant ce que nous avons commandé, se plaignant de sa surcharge de travail alors qu’à 15h30 la salle est presque vide, il s’adoucira progressivement mais n’empêchera pas que nous profitions de notre nostalgie.

La fréquentation de grands restaurants a forcément changé mes yeux. Cette nourriture simple, d’huîtres et de choucroute, je ne l’aurais jamais analysée à cette époque. J’aurais planté ma fourchette sans autre forme de procès. Aujourd’hui, je remarque que les goûteuses huîtres de Marennes ont été ouvertes par quelqu’un dont la délicatesse est celle d’un changeur de pneus. La choucroute est assez ordinaire, au légume un peu fade et à la charcutaille un peu commune. Les glaces Bertillon sont parfaites.

Pendant que nous mangeons, six américaines en goguette se font photographier avec un serveur heureux d’être ainsi célèbre. La confrontation du passé et des pensées actuelles est aussi enivrante que l’excellente bière fumée bue dans un pichet de terre. Humer le passé de temps en en temps, c’est bien agréable.